Lettre du commissaire Plouffe envoyée à l'honorable David J. McGuinty, député

Le 5 avril 2016


L'honorable David J. McGuinty, député
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)  K1A 0A6

Monsieur le Député,

Je m'adresse à vous en votre qualité de leader assumant un rôle assigné par le premier ministre au sein du comité statutaire proposé formé de parlementaires qui sera chargé d'examiner des enjeux en matière de sécurité et d'aider à renforcer la surveillance de la sécurité nationale.

Dans mon dernier rapport annuel public, j'ai mentionné qu'il fallait assurer l'application de contrôles adéquats au sein des organismes de sécurité et de renseignement, y compris ceux visant la protection adéquate de la vie privée des Canadiens. J'aimerais vous faire part d'observations et de commentaires basés sur mon expérience en tant que commissaire responsable de l'examen du Centre de la sécurité des télécommunications (CST). Je tiens à ajouter que lors de mon évaluation, comme tout au long de ma longue carrière judiciaire, j'ai fait preuve d'impartialité, et que je n'ai aucun intérêt particulier dans la situation compte tenu de la durée définie de ma nomination.

Comme vous le savez, le modèle canadien en place pour aider les ministres responsables qui doivent rendre des comptes au Parlement relativement aux organismes de sécurité et de renseignement est issu des scandales révélés au Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans les années 1970. Cette situation a mené à l'adoption d'une loi visant la création du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) civil, qui établissait des contrôles judiciaires et ministériels ainsi que des dispositions détaillées pour l'examen et le règlement des plaintes par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS).

Par la suite, ce modèle a servi de base pour établir par décret, en 1996, en vertu de la Loi sur les enquêtes, le Bureau du Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications.

J'ai été à même de constater l'efficacité de ce modèle d'examen spécialisé, notamment : avoir une autonomie complète sans lien de dépendance avec le gouvernement; avoir un accès sans entraves aux personnes concernées et le pouvoir de les contraindre à témoigner; posséder une connaissance approfondie de l'organisme de renseignement, accumulée au fil des années de travail; avoir l'expertise pour comprendre la nature sensible des activités d'un point de vue opérationnel et complexe sur le plan technique et juridique; adopter une méthodologie rigoureuse lors du processus d'examen; posséder des habiletés en matière d'analyse et de recherche suffisantes pour effectuer un examen efficace, complet et exigeant, mais juste, de l'organisme de sécurité ou de renseignement, ainsi que des compétences en communication pour informer les parlementaires et le public, tout en protégeant les secrets concernant la sécurité nationale de même que les partenariats internationaux.

J'ai mentionné que la participation accrue des parlementaires est la bienvenue. Plus particulièrement, depuis la diffusion par Edward Snowden de renseignements classifiés volés provenant de la National Security Agency des États-Unis et de ses partenaires, dont le CST, la confiance du public envers les organismes de renseignement et l'examen dont ils font l'objet a été mise à l'épreuve.

Avant les divulgations de M. Snowden, mes prédécesseurs étaient rarement convoqués devant des comités parlementaires. Je crois que l'établissement d'un comité parlementaire dont les membres détiendraient une habilitation de sécurité et la mise en place d'organismes d'examen spécialisés fourniraient un cadre de responsabilisation complémentaire solide et exhaustif en ce qui a trait aux activités liées à la sécurité et au renseignement, en plus d'accroître la confiance du public. Cependant, afin d'assurer une efficacité optimale et d'éviter le dédoublement des efforts et le gaspillage des ressources, il est nécessaire de bien définir les rôles respectifs.

Quelle que soit la forme que prendront les organismes de surveillance restructurés, il sera important de maintenir la capacité de soumettre les différents organismes et ministères à un examen spécialisé. Grâce aux discussions que j'ai eues avec mes collègues du CSARS et de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, ainsi qu'avec mes collègues d'autres pays, j'ai également pu prendre conscience du caractère unique des fonctions qu'assume le CST en ce qui a trait aux renseignements électromagnétiques étrangers et en matière de cyberdéfense, si on les compare avec d'autres activités de sécurité et de renseignement fondées davantage sur la collecte de renseignements humains ou l'application de la loi. Le juge O'Connor, dans le rapport de 2006 de la Commission royale sur l'affaire Maher Arar, a tacitement reconnu ce fait lorsqu'il a recommandé un examen indépendant des activités liées à la sécurité nationale de, tel que les ministères étaient nommés à ce moment-là Citoyenneté et Immigration Canada, de Transports Canada, du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, lequel serait réalisé par le CSARS, alors que la Commission des plaintes du public contre la GRC nouvellement mandatée examinerait les activités de l'Agence des services frontaliers du Canada ainsi que les activités de la GRC en matière de sécurité nationale. Pour ce qui est du Bureau du commissaire du CST, le juge O'Connor a indiqué qu'il fonctionnait très bien et qu'il ne voyait aucune raison d'intervenir. Il a cependant recommandé l'établissement de passerelles législatives pour permettre la réalisation d'enquêtes conjointes par des organismes d'examen ainsi que l'échange d'information entre ceux-ci.

En ce qui concerne le dernier point ci-dessus, j'aimerais ajouter quelques mots sur la coopération entre les organismes d'examen. Comme mon prédécesseur et moi-même l'avons indiqué, beaucoup de choses peuvent être accomplies, et sont accomplies en ce moment, aux termes des lois existantes. Mon prédécesseur immédiat et moi-même avons fait parvenir six lettres au CSARS au cours des dernières années dans lesquelles nous soulignions des questions et des enjeux qui sont survenus lors de mes examens des activités du CST qui touchaient le SCRS. Plus tôt cette année, mes représentants ont informé le CSARS des résultats de l'examen d'une activité conjointe du CST et du SCRS qui commençait à faire l'objet d'un examen par le CSARS. Malgré ces initiatives, je crois que les lois devraient autoriser explicitement les organismes d'examen à mener des examens conjoints et exiger la coopération des organismes de sécurité et de renseignement.

Je dois également souligner que les commissaires du CST recommandent depuis plus d'une décennie de modifier la Loi sur la défense nationale pour éliminer les ambiguïtés qu'elle comporte et, plus récemment, j'ai recommandé qu'une modification soit apportée pour accorder au CST le pouvoir explicite de recueillir, d'utiliser, de conserver et de communiquer des métadonnées. Ces modifications aideront à clarifier la loi et à renforcer la responsabilisation du CST.

J'ai envoyé une copie de la présente à mes collègues du CSARS et de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes, ainsi qu'à vos collègues, le ministre de la Défense nationale, le ministre de la Sécurité publique et le leader parlementaire du gouvernement, puisque la lettre de mandat de ces deux derniers inclut des rôles prépondérants dans la création d'un comité statutaire formé de parlementaires dont le but est d'examiner les activités liées à la sécurité nationale.

Si vous avez des questions ou si vous souhaitez discuter de ces points ou de sujets connexes, je serais heureux de vous rencontrer, ainsi que toutes autres parties prenantes. 

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, l'expression de mes sentiments respectueux.

Jean-Pierre Plouffe

c. c. :
L'honorable Harjit S. Sajjan, PC, OMM, MSM, CD, député, ministre de la Défense nationale
L'honorable Ralph Goodale, PC, député, ministre de la Sécurité publique
L'honorable Dominic LeBlanc, PC, député, leader du gouvernement à la Chambre des communes
L'honorable Pierre Blais, PC, président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité
Ian McPhail, c.r., président de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC

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