Message du commissaire
Le but premier de ce rapport est d'informer le ministre de la Défense nationale des activités auxquelles je me suis adonné au cours de l'exercice qui s'est terminé le 31 mars 2012. Je ferai état aussi bien des résultats des examens que j'ai effectués au cours de l'année relativement aux opérations du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (le Centre ou le CSTC), que des projets d'examen qui sont en cours et de ceux que je compte entreprendre dans les prochains mois. Je ferai état également des autres activités que moi-même et mon Bureau avons menées, notamment celles visant à nous tenir au courant des plus récents développements survenus au Canada et ailleurs en matière de surveillance d'organismes de sécurité et de renseignement.
Aux deux tiers de mon mandat triennal, force m'est de constater que le grand public, et parfois même ses membres qui se disent spécialisés, continuent, par ignorance, de se méprendre sur les rôles respectifs des divers organismes canadiens de renseignement et, par voie de conséquence, sur les rôles respectifs des divers organismes de surveillance. Cette ignorance s'explique. Le caractère secret des activités des organismes de renseignement fait en sorte que toute tentative de vulgarisation se heurte à une culture du silence qui veut que l'on taise même ce qui est connu ou ce qui pourrait l'être. Pour paraphraser une expression consacrée, la peur que l'on voie certains arbres est telle qu'il n'est pas permis de décrire la forêt. À mon avis, il est possible, sans entrer dans des détails qu'il serait inapproprié de divulguer, d'employer un vocabulaire plus simple et plus compréhensible et d'ainsi faire en sorte que les débats publics ne s'engagent pas sur de fausses prémisses.
Dans mon message de l'an dernier, j'ai brièvement décrit les mandats respectifs du Centre et de mon Bureau. Je reviens à la charge, cette année, de manière plus détaillée, dans mon rapport.
La technologie se développe à un rythme époustouflant. L'expertise en technologie des télécommunications du Centre l'amène, dans le cadre de son mandat, à fournir une aide à d'autres membres de la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement, notamment le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Je voudrais cette année, dans la poursuite de mes efforts de vulgarisation, apporter des précisions quant aux rôles respectifs du Centre et du SCRS. Je constate en effet qu'il y a souvent méprise quant à ces rôles.
Le Centre, lorsqu'il agit de sa propre initiative, n'a pas le droit, de par sa loi constituante, de viser qui que ce soit au Canada non plus qu'aucun Canadien hors Canada. Cependant, le Centre a aussi le mandat d'apporter son aide à des organismes tels le SCRS, ce qui peut l'amener à s'intéresser, sur demande, à un Canadien ou à une personne se trouvant au Canada. Lorsque le Centre fournit une telle assistance, il est assujetti aux lois qui régissent l'organisme qui a fait la demande.
Puisque le SCRS, de par sa loi habilitante, s'intéresse à des menaces envers la sécurité du Canada et mène ses enquêtes en utilisant des méthodes qui conduisent à l'interception de communications privées, le risque d'atteinte à la vie privée des Canadiens est inhérent à ses activités et le Parlement a voulu que ces activités ne puissent avoir lieu sans l'obtention préalable d'un mandat judiciaire. En conséquence, lorsque le SCRS, dans l'exécution de ce mandat judiciaire, demande l'aide du Centre, le Centre ne fait en réalité que participer à une activité déjà autorisée par mandat judiciaire. Il serait superflu d'exiger à ce moment l'obtention d'un autre mandat. Mes prédécesseurs ont examiné l'assistance portée au SCRS par le Centre. J'ai entrepris cette année un examen en profondeur, que je compléterai au cours des prochains mois, de certaines activités que mène le Centre lorsqu'il agit à la demande du SCRS.
Par ailleurs, puisque le Centre ne cible que des non-Canadiens hors Canada, les interceptions de communications privées qui impliqueraient des Canadiens sont tout aussi fortuites qu'imprévisibles. Le risque d'atteinte à la vie privée de Canadiens, au moment de l'interception, n'est dès lors qu'aléatoire et le Parlement s'est contenté d'exiger que ces activités du Centre qui peuvent fortuitement mener à une atteinte à la vie privée de Canadiens fassent l'objet, non pas d'un mandat judiciaire, mais d'une autorisation dite ministérielle émise par le ministre de la Défense nationale. Cette autorisation ministérielle ne constitue pas pour autant un chèque en blanc : elle est assortie d'exigences importantes que la loi impose et d'autres que le ministre peut prescrire, pour s'assurer que s'il advenait que la vie privée d'un Canadien soit engagée, des mesures soient en place pour la protéger.
Cette collaboration accrue entre le Centre et le SCRS exige à son tour une collaboration accrue entre les organismes qui les surveillent. Or, ce n'est pas là une tâche facile car les lois qui régissent les organismes de surveillance établissent des compétences particulièrement étanches qui n'incitent pas à la mise en commun d'énergies et de ressources. Je me suis employé ces derniers temps à trouver des façons inédites de rendre davantage complémentaires les examens qu'entreprennent chacun de leur côté mon Bureau et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (Comité de surveillance), pour m'assurer qu'aucune activité n'échappe à la surveillance. Le paragraphe 273.63(6) de la Loi sur la défense nationale permet au gouverneur en conseil de m'autoriser à me « livrer à toute activité connexe ». L'article 54 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité permet au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de demander au Comité de surveillance « un rapport spécial sur toute question qui relève de sa compétence ». Je suis d'avis que mon Bureau et le Comité de surveillance pourraient, en vertu de ces dispositions, être invités à mener de manière conjointe ou complémentaire une enquête sur certaines activités qui concernent à la fois le Centre et le SCRS. Il s'agirait là d'une démarche qui se situerait dans l'esprit des recommandations formulées par le juge Dennis O'Connor dans son deuxième rapport de la Commission d'enquête sur les actions des responsables Canadiens relativement à Maher Arar, qui traite du système de surveillance des organismes de sécurité et de renseignement au Canada.
Ce rapport annuel ne serait pas complet si je n'y soulignais pas certains changements majeurs qui sont survenus dans la haute direction du Centre et dans le statut de ce dernier.
En janvier dernier, John Adams, qui exerçait la fonction de chef du Centre depuis six ans, a été nommé conseiller supérieur auprès du Bureau du Conseil privé et est devenu titulaire du « Skelton-Clark Fellow to the Queen's University of Policy Studies ». Je suis en mesure de témoigner jusqu'à quel point il a su développer au sein du Centre une culture de respect de la vie privée qui facilite grandement mon travail. Il y aura toujours, bien sûr, entre un organisme de surveillance et l'organisme sous surveillance, un climat inévitable et nécessaire de tension. Le défi que doivent alors relever les chefs des deux organismes est de faire en sorte que cette tension soit saine et productive. Tel m'apparaît avoir été le cas en l'espèce.
John Forster, un haut fonctionnaire d'expérience, assume la direction du Centre depuis le 30 janvier 2012. Je l'ai rencontré à quelques reprises et je décèle déjà chez lui les attributs de son prédécesseur. Je suis confiant que nos relations seront empreintes de courtoisie et de respect. Mon équipe et moi avons organisé pour le nouveau chef une séance intensive d'information, dans le but de rendre le plus concret possible à ses yeux le rôle de surveillance qui nous est dévolu par la loi.
Par ailleurs, jusqu'au 16 novembre 2011, le Centre était en quelque sorte une institution sous tutelle relevant à la fois du sous-ministre de la Défense nationale, pour son administration et ses finances, et du conseiller en matière de sécurité nationale auprès du Premier ministre, pour ses opérations et ses politiques. Ce jour-là, le Centre est devenu une entité autonome s'inscrivant dans le portefeuille du ministre de la Défense nationale et ayant statut de ministère. Son chef a pris rang d'administrateur général et relève directement du ministre.
Je ne m'attends pas à ce que ce changement de statut ait un impact sur mes relations avec le Centre. Cependant, j'étais d'avis que l'obligation de faire rapport au conseiller du Premier ministre permettait d'apporter aux opérations et aux politiques du Centre une perspective gouvernementale plus globale en matière de sécurité nationale, et je m'assurerai que l'autonomie nouvelle du Centre ne soit pas cause de relâchement dans l'application de ses mécanismes de contrôle en matière de reddition de compte et de conformité.
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