Exposé dans le cadre de la Conférence internationale des organismes de surveillance, 2008
Exposé de l'honorable Charles D. Gonthier, C.C., c.r.,
commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications,
dans le cadre de la Conférence internationale des organismes de surveillance
du renseignement, à Auckland, en Nouvelle-Zélande, le 7 octobre 2008
Bonjour Mesdames et Messieurs et merci Mme Taylor de m'avoir présenté si gentiment. Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de vous faire part de mes idées sur la façon de créer une relation de confiance durable entre un organisme d'examen et l'organisme soumis à l'examen, tout en permettant aux responsables de l'examen d'avoir une bonne connaissance du travail de l'organisme et de préserver son indépendance.
Le bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada dispose d'une équipe de huit employés permanents, secondée par des experts en la matière chargés d'examiner les activités du Centre pour en assurer la légalité. En pratique, le bureau examine les activités du Centre dans le cadre d'une série de projets menés chaque année.
De la façon dont je vois les choses, un organisme chargé de vérifier les activités d'un organisme du renseignement doit se préoccuper non seulement d'établir et de maintenir un lien de confiance avec ce dernier, mais aussi avec le grand public dont il tire la légitimité de son mandat. Naturellement, il y a un lien direct entre ces deux relations de confiance, qui reposent sur des individus bien informés, qui se comportent aux yeux de tous avec professionnalisme et intégrité, et ont le plus grand respect pour la primauté du droit et les valeurs démocratiques.
Le CST exerce forcément ses activités en grande partie dans le secret. Par conséquent, le rôle de mon bureau consiste à représenter l'intérêt public dans le cadre de la reddition de comptes – mais sans compromettre la mission importante du Centre. Je suis profondément convaincu que le respect et la confiance mutuels que se vouent l'organisme d'examen et l'organisme soumis à l'examen sont le ferment d'une plus grande confiance du public dans ces institutions. De plus, cette confiance entre les deux organismes implique le maintien de l'indépendance des deux parties, alors que l'une et l'autre s'efforcent de servir le bien public. Selon moi, le lien de confiance et l'indépendance sont des éléments complémentaires qui se renforcent mutuellement.
Permettez-moi de vous indiquer les quatre principes qui sous-tendent les voies et moyens mis en œuvre par mon bureau pour assurer la pérennité de la confiance et de l'indépendance réelles et manifestes. Ils constituent les grands axes de mon exposé :
- la nécessité de règles du jeu claires;
- l'importance des valeurs fondamentales;
- la nécessité d'un processus d'examen bien structuré, cohérent et transparent;
- la qualité des ressources humaines.
La nécessité de règles du jeu claires
Il est de la plus haute importance que les mandats et les pouvoirs des deux organismes soient clairement définis. Dans le cas du CST et de mon bureau, ils tirent leur légitimité de la loi qui établit les rôles, les responsabilités et les obligations de chacun et, par conséquent, jette les bases sur lesquelles se construit la relation d'examen.
Par exemple, en établissant en termes non équivoques que l'objet des activités d'examen du commissaire est d'évaluer la conformité avec la loi des activités du Centre et en conférant au commissaire le droit d'accès aux locaux, à l'information et au personnel du Centre, la loi habilitante garantit que ces activités et ce droit ne donneront pas matière à débat.
En outre, l'exigence selon laquelle le commissaire doit être un juge d'une cour supérieure, à la retraite ou surnuméraire, renforce considérablement l'indépendance institutionnelle de la fonction d'examen. Il en va de même de la disposition voulant que le commissaire puisse retenir les services de conseillers juridiques ou techniques ou d'autres collaborateurs qu'il estime nécessaires pour s'acquitter des obligations du commissaire.
En plus de l'indépendance institutionnelle, il faut assurer l'indépendance opérationnelle. Cela signifie que les processus et les pratiques d'examen doivent obéir au quotidien à des règles du jeu précises. Je reviendrai sur cette question plus tard et je vous dirai un mot sur les moyens que nous déployons pour établir la confiance et l'indépendance opérationnelle.
J'aimerais dans un premier temps discuter brièvement du rôle important que joue le respect des valeurs fondamentales dans une relation d'examen fructueuse.
L'importance des valeurs fondamentales
Le respect des valeurs démocratiques fondamentales au sein du Centre, tant sur le plan individuel qu'à l'échelle de l'organisation, est d'une importance cruciale et j'y reviendrai en temps et lieu. Ce qui nous intéresse ici avant tout, ce sont les valeurs que mon bureau et moi-même devons véhiculer dans l'exercice de nos responsabilités en matière d'examen.
À cet égard, il nous faut admettre d'entrée de jeu que le commissaire n'a pas pour rôle d'imposer des limites ou de s'opposer au rôle indispensable du Centre à l'appui de la sécurité de la population canadienne, mais plutôt de le compléter. Nous avons pour mission de renforcer l'éthique de la légalité et du respect de la vie privée au sein du CST. Nous devons considérer que nous faisons partie de la même équipe au service de la population canadienne. En faisant bien notre travail – c'est-à-dire en établissant la confiance et en maintenant notre indépendance –, nous contribuerons en fait à l'efficacité du Centre.
Cette prise de conscience implique que nous devons faire notre travail avec professionnalisme et ouverture d'esprit. En particulier, nous devons aborder l'examen, d'abord et avant tout, comme une mission nous permettant de fournir une assurance au ministre de la Défense nationale, responsable du Centre, relativement aux activités de l'organisme. Notre mandat n'est pas de remuer ciel et terre pour trouver la faille.
Mon bureau a toujours considéré la prévention comme un aspect important de son rôle. Ainsi, la plupart de nos recommandations portent sur des lacunes décelées au niveau des politiques, des procédures et des pratiques du Centre qui, si elles n'étaient pas corrigées, pourraient augmenter le risque d'activités illégales. À vrai dire, à la fin d'un examen, je suis heureux de pouvoir déclarer que nous n'avons pas trouvé trace de ce genre d'activités. Cependant, il peut arriver (et cela s'est déjà produit) que je sois en désaccord avec le CST relativement à un point particulier et que les explications ou l'information qu'il me donne ne me satisfont pas. En pareil cas, je demande à mon personnel de creuser la question.
La nécessité d'un processus d'examen bien structuré, cohérent et transparent
Le lien de confiance entre le Centre et mon bureau dépend considérablement de la qualité manifeste de notre travail d'examen. C'est pourquoi nous avons vraiment mis l'accent sur l'élaboration, la documentation et l'application de méthodes rigoureuses, fondées sur des normes d'examen reconnues et validées par des années d'expérience.
Nous avons élaboré des politiques et des procédures opérationnelles qui orientent les activités d'examen du personnel et des personnes recrutées à contrat, garantissent à notre travail une bonne dose de transparence et de cohérence du point de vue du Centre, et jettent les bases de l'évaluation et de l'amélioration de notre rendement dans l'exécution de notre mandat.
Le processus et les pratiques d'examen sont généralement ponctués, à toutes les étapes, par un dialogue régulier et ouvert. Ce dialogue et les éléments du processus et des pratiques d'examen, dont il sera question ici, contribuent à inciter le CST à faire confiance à nos connaissances et à notre travail, de même qu'au maintien de notre indépendance.
- Les activités du bureau se déroulent selon un plan de travail triennal, régulièrement mis à jour en fonction duquel s'articule la relation entre le bureau et le Centre. Nous consultons d'ailleurs le CST sur les composantes du plan qui ont trait à l'examen pour que la direction sache à quoi s'attendre et puisse collaborer. Cette consultation nous permet, par exemple, de veiller à ce que nos examens et les vérifications et contrôles internes du Centre soient adéquatement coordonnés, de bien connaître les secteurs qui sont parfois en cours de réorganisation ou de restructuration et de concilier l'exercice de mon mandat d'examen avec les exigences opérationnelles du Centre définies par le gouvernement. De plus, nous prenons toutes les précautions voulues pour que notre consultation préalable du Centre ne donne pas à penser que la responsabilité de l'examen repose aussi sur lui, ce qui pourrait nuire à l'indépendance de mon bureau.
- Dans le contexte d'un examen particulier et avant que le travail approfondi ne commence, le CST a l'occasion de faire des observations sur le cadre de référence que nous proposons pour l'examen, y compris en ce qui concerne la portée, les objectifs, les critères, les méthodes et les échéances.
- Le travail d'examen effectué sur le terrain produit des résultats, des conclusions et des recommandations provisoires, dont nous discutons avec le Centre à mesure que l'examen progresse. Ces discussions aident le CST à suivre le cours de nos idées et lui donnent l'occasion de livrer ses observations préliminaires avant qu'on lui demande officiellement de se pencher sur l'ébauche du rapport d'examen pour vérifier l'exactitude des faits. Souvent, le CST commence à régler les questions soulevées avant l'émission du rapport, pour autant qu'il soit d'accord, ce qui est le cas le plus souvent. Par conséquent, la plupart des questions sont résolues avant que le rapport ne parvienne au Ministre.
- Mes recommandations n'ont pas force exécutoire. Autrement, il y aurait un risque d'usurpation du rôle de la fonction dirigeante du Centre. C'est pourquoi j'hésite de faire des recommandations trop prescriptives qui laisseraient entendre la façon de corriger les lacunes.
Mon bureau et le CST collaborent pour surveiller le devenir des recommandations, ce qui me semble un indicateur important de l'incidence de notre activité d'examen. Sur ce point, je trouve encourageant de voir que le CST accepte la grande majorité des recommandations formulées par le bureau, qui sont pour la plupart intégralement mises en œuvre ou en cours de mise en œuvre. À mes yeux, cet état de choses témoigne de l'estime du Centre pour notre travail. - J'ai mentionné que la loi autorise le commissaire à avoir accès à tous les locaux, dossiers et documents (à l'exception des documents confidentiels du Cabinet) et aux personnes nécessaires à l'exercice de ses fonctions. En revanche, ce degré d'accès s'accompagne de l'obligation de nous assurer que nos demandes d'accès correspondent expressément à l'exercice de nos responsabilités d'examen et nous oblige à respecter intégralement la sécurité de l'information obtenue.
Somme toute, par nos politiques, procédures et pratiques, nous nous efforçons de soutenir une démarche professionnelle, bien informée et compétente par rapport à l'ensemble de notre travail. Une bonne partie de notre succès à ce chapitre dépend des ressources humaines.
Qualité des ressources humaines
Lorsqu'on parle de confiance et d'indépendance, l'aptitude de chacun à agir correctement est d'une importance fondamentale. Ce principe s'applique indubitablement à la direction de l'organisme d'examen comme à celle de l'organisme soumis à l'examen, et plus particulièrement aux individus qui sont « en première ligne ».
Pour ce qui est du Centre de la sécurité des télécommunications, le personnel chargé de la collecte de renseignements étrangers doit de toute évidence posséder d'excellentes compétences techniques, mais aussi un profond respect de la primauté du droit et des valeurs démocratiques, ce qui inclut des attentes raisonnables en matière de protection de la vie privée des Canadiens. Chaque jour, le personnel se collette avec les difficultés inhérentes à la collecte de renseignements, qui sont utiles pour protéger la sécurité du Canada et des Canadiens, tout en trouvant les moyens de protéger la vie privée.
Ce que nous recherchons au fil de nos examens, c'est la présence d'une culture organisationnelle au sein du CST, entre autres sous la forme d'une formation, de politiques et de procédures propres à promouvoir et à garantir le respect de la primauté du droit et des valeurs démocratiques et, par conséquent, qui appuie le personnel de première ligne dans son travail exigeant mais essentiel. Nous recherchons aussi des pratiques de gestion bien établies, telles que l'élaboration de politiques et la gestion efficace des dossiers, qui sont des éléments nécessaires pour que l'organisation soit en mesure de rendre compte de ses activités et de ses décisions avec autant d'exactitude et d'efficacité que possible.
Pour ce qui est de mon personnel, il importe que les employés chargés de l'examen, en contact quotidien avec le CST, ait la confiance et le respect de ses agents, en raison de leur connaissance à la fois du Centre et du processus d'examen, et de leur intégrité et professionnalisme. Voici ce que nous encourageons systématiquement chez nos analystes et nos équipes d'examen :
- une connaissance approfondie du CST et de l'objet particulier de l'examen;
- un dialogue fructueux avec le CST au cours de chacune des missions d'examen;
- l'objectivité et l'impartialité dans tout travail d'examen;
- de saines pratiques de gestion de l'examen, y compris en matière de supervision;
- une amélioration continue des pratiques d'examen, fondée sur l'expérience.
La plupart des membres de mon personnel ont une expérience du renseignement de sécurité et ils perfectionnent de diverses façons leurs aptitudes en matière d'examen, y compris grâce au mentorat d'analystes chevronnés, en s'inspirant de nos politiques et procédures opérationnelles et en suivant une formation officielle, au besoin. De plus, j'ai la possibilité de retenir au besoin les services d'experts en la matière, notamment des experts en examen et des spécialistes techniques, et c'est ce que je fais à l'occasion.
Au fil des années, j'ai développé avec le Centre une relation qui permet à mon personnel de participer de temps à autre aux séances de formation de base afin d'acquérir une meilleure connaissance des activités du CST et des défis auxquels il se heurte. En contrepartie, mon bureau donne des exposés qui s'inscrivent dans le programme de formation du Centre afin de sensibiliser le plus possible son personnel à notre mandat et à nos pratiques d'examen.
Conclusion
En dernière analyse, on reconnaît l'arbre à ses fruits. Un programme d'examen dynamique, crédible et continu s'impose pour produire des rapports de valeur à l'intention des auditoires cibles (à l'échelon de l'organisme, de la direction et des membres du Parlement) qui donnent une assurance au Ministre, cernent les problèmes et signalent les possibilités de mesures correctives au besoin.
Je ne crois pas que les gens apprécient en général, à titre personnel ou dans le cadre d'une organisation, que l'on passe en revue leurs activités. On sait pertinemment que la relation entre un organisme d'examen et un organisme soumis à l'examen comporte des tensions qui lui sont propres et que de petits « accrochages » sont inévitables. L'important, c'est que ces difficultés ne soient pas systémiques, mais plutôt exceptionnelles et qu'elles n'empoisonnent pas le climat de travail.
À cette fin, j'ai des entretiens périodiques avec le chef du Centre et les gestionnaires de mon bureau rencontrent régulièrement leurs homologues du Centre pour faire le point et régler les problèmes à mesure qu'ils se présentent.
L'instauration d'une « table ronde » annuelle entre mon personnel et les agents du CST constitue une autre façon de favoriser la discussion sur la relation professionnelle. Le but est de déterminer ce qui fonctionne bien, ce qui ne fonctionne pas et les moyens de maintenir et d'améliorer la relation.
Enfin, il y a plus de deux ans, mon personnel a institué le Forum des organismes de surveillance, qui rassemble deux fois par an le personnel de plusieurs organismes de surveillance canadiens pour discuter des nouveaux enjeux et des difficultés propres à ce milieu, et mettre en évidence des pratiques exemplaires en matière d'examen. La formule ressemble beaucoup au rassemblement actuel, ici en Nouvelle-Zélande, mais à plus petite échelle.
Il ressort en bout de ligne que les analystes doivent constamment être attentifs, faire preuve de doigté et concilier les intérêts à tous les échelons pour gagner et entretenir la confiance.
Je vous remercie de votre attention et j'espère que le débat sera stimulant.
- Date de modification :