Comparution devant le Comité permanent de la défense nationale, 2010
Notes d'allocution de
L'honorable Robert Décary, c.r.
Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications
Pour une comparution devant
Le Comité permanent de la défense nationale
Ottawa (Ontario)
Le 18 novembre 2010
Seul le texte prononcé fait foi
Monsieur le président, Mesdames, Messieurs membres du Comité
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous rencontrer sitôt après mon entrée en fonction.
Je me présente. Robert Décary. Soixante-six ans. Juge à la retraite de la Cour d'appel fédérale et, depuis le 18 juin dernier, Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. De formation, juriste. D'expérience récente, juge d'appel pendant une vingtaine d'années.
Montréalais de naissance. Gatinois d'adoption. Londonien d'éducation.
J'ai consacré une bonne partie de ma carrière à la vie publique. Adjoint pendant deux ans de l'honorable Mitchell Sharp, alors Secrétaire d'état aux affaires extérieures. Puis chef de cabinet pendant un an du Sous-secrétaire d'état aux affaires culturelles, M. Yvon Beaulne. Pratique du droit dans un cabinet de Montréal. De retour à Ottawa comme directeur adjoint de la recherche à la Commission de l'unité canadienne, la Commission Pepin-Robarts. Pratique privée dans un cabinet de Hull, combinée à une carrière comme chroniqueur juridique et politique en page éditoriale du Devoir et de La Presse et à plusieurs émissions d'affaires publiques de Radio-Canada et TVA. Auteur de nombreux ouvrages et articles de revue.
Ma pratique d'avocat, à Hull, m'a mené plus souvent qu'aucun autre avocat québécois à l'époque, devant la Cour suprême du Canada, où j'ai agi pendant près de dix ans comme correspondant du Procureur général du Québec et d'une trentaine de cabinets.
En mars 1990, l'honorable Kim Campbell, alors ministre de la Justice, me nomme à la Cour d'appel fédérale, la deuxième Cour en importance au Canada. J'entends quelque deux mille soixante affaires et rédige des motifs dans un peu plus de sept cents d'entre elles. Je siège dans toutes les provinces canadiennes et dans les Territoires du Nord-Ouest, de St John's à Vancouver en passant, souvent, par Montréal, Ottawa et Toronto.
Il est peu de domaines du droit fédéral qui aient échappé à mon attention. Outre mon pain quotidien, formé d'immigration, d'assurance-emploi et d'impôt sur le revenu, j'ai eu le privilège, notamment, d'être le premier juge d'appel à se pencher sur le statut de la Loi sur les langues officielles (Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1CF 373 (CA)); sur la validité constitutionnelle de la Loi anti-terroriste (Charkaoui c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2004 CAF 421) et sur la portée de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.(Englander c. Telus Communications Inc., 2004 CAF 387).
Je prends ma retraite en juillet 2009, avec comme seul projet, alors, de travailler comme bénévole aux Jeux olympiques de Vancouver en février 2010. On m'y assignera l'agréable tâche d'adjoint à des dignitaires canadiens, ce qui me permettra de servir de guide au premier ministre Jean Charest ainsi qu'au premier ministre Danny Williams.
Le 18 juin dernier, le ministre de la Défense nationale, l'honorable Peter MacKay, me nomme Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications (le CST). Je vous avoue que c'est avec appréhension et trépidation, tout à la fois, que j'ai accepté de faire un retour (à temps partiel faut-il le préciser) à la vie publique. Appréhension, parce que je devrai chausser les souliers des grands juristes que furent les juges Antonio Lamer, Claude Bisson, Charles Gonthier et Peter Cory. Trépidation, parce que la conciliation entre le droit des Canadiens au respect de leur vie privée et le besoin de collecte de renseignements étrangers aux fins d'assurer la sécurité du Canada constitue un défi absolument fascinant.
Mon rôle, vous le savez, est établi dans la Loi sur la défense nationale (la "Loi"); il consiste, de manière générale, à examiner les activités du CST pour en contrôler la légalité, à effectuer toute enquête que j'estime nécessaire en réponse à une plainte relative au CST, et à informer le ministre de la Défense nationale et le procureur général du Canada de toute activité du CST que j'estime ne pas être conforme à la loi.
Pour comprendre mon rôle, il faut d'abord bien comprendre le mandat du CST ainsi que ses limites. Depuis la Loi antiterroriste de décembre 2001, les fonctions du CST sont, essentiellement, les suivantes (vous comprendrez que je les réduise ici à leur plus simple expression): a) faire la collecte de renseignements électromagnétiques étrangers; b) aider à protéger les renseignements électroniques et les infrastructures d'information importantes pour le Gouvernement du Canada; et c) apporter un support technique et opérationnel aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité (par exemple, la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité).
En ce qui a trait aux deux premières de ces fonctions, les activités du CST sont sujettes à trois limites législatives de la plus haute importance. La première: le CST n'est pas autorisé à exercer des activités qui viseraient des Canadiens, où qu'ils se trouvent dans le monde, non plus que des personnes qui se trouvent au Canada. La seconde limite: comme il peut arriver que dans l'exercice de ces deux activités, le CST intercepte fortuitement ("unintentionally") une communication destinée au Canada ou en provenance du Canada, ou obtienne des informations qui concernent des Canadiens, et comme il peut arriver que ces informations s'avèrent essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité, la Loi permet qu'elles soient utilisées et conservées, mais seulement si des mesures de protection de la vie privée des Canadiens sont en place lors de leur utilisation et conservation. La troisième limite: pour encadrer de façon formelle l'interception fortuite de communications privées, la Loi exige qu'elles soient autorisées expressément par le ministre de la Défense nationale une fois qu'il est convaincu que certaines conditions définies par la Loi sont rencontrées. Il s'agit là du processus connu sous le nom d'autorisation ministérielle.
Dans ce contexte, ma tâche est de m'assurer d'abord que le CST, dans sa façon d'opérer, ne vise que des entités étrangères hors Canada; de m'assurer ensuite que les activités que le CST mène en vertu d'autorisations ministérielles sont celles autorisées par le Ministre et de faire rapport au Ministre à cet égard; de m'assurer enfin qu'eu égard à toutes les activités qu'il mène, le CST a mis en place et applique effectivement des mesures de protection de la vie privée des Canadiens.
En ce qui a trait à sa troisième fonction --celle d'aider les organismes fédéraux--, le CST opère alors comme agent de l'organisme en question et ses activités sont sujettes aux mêmes restrictions que celles auxquelles l'organisme est lui-même assujetti en vertu des lois qui lui sont applicables. Mon rôle consiste, là encore, à m'assurer que les activités du CST sont menées conformément à la loi. Le contrôle de la légalité des activités de ces autres organismes est confié à d'autres institutions, tels le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie Royale du Canada.
Chaque année, le Commissaire remet au ministre un rapport sur l'exercice de ses activités, rapport que le ministre dépose au Parlement. Par ailleurs, en cours d'année, le Commissaire remet au ministre des rapports classifiés qui l'informent du résultat des examens des activités du CST effectués par les agents d'examen de mon Bureau. Je tiens à préciser que le Bureau du Commissaire est devenu, il y a deux ans, un organisme autonome et indépendant doté de son propre crédit parlementaire.
Monsieur le président, mesdames, messieurs,
Au moment de l'adoption de la Loi antiterroriste, en décembre 2001, le législateur se trouvait devant un dilemme. Au Canada, chacun a un droit quasi-constitutionnel au respect de sa vie privée. Chacun a aussi un droit constitutionnel à la sécurité de sa personne. Par ailleurs, l'État a l'obligation de protéger l'un et l'autre de ces droits individuels et d'assurer aussi la sécurité du pays. Ces droits et obligations ne sont pas faciles à réconcilier: que serait en effet le droit à la vie privée, que serait le droit à la sécurité de la personne, dans une société dont la sécurité ne serait plus acquise et qui ne serait plus libre et démocratique? Dans la Loi antiterroriste, le Parlement s'est livré à un effort de réconciliation délicat; il a adopté une solution qu'il estimait juste, nécessaire et appropriée dans les circonstances, aux fins de permettre à l'État d'assurer sa sécurité et celle des Canadiens tout en respectant le droit de chacun à sa vie privée. Il a confié au Commissaire que je suis, eu égard aux activités du CST, la mission de veiller à ce que le CST se conforme en tout temps aux obligations que lui imposent la Partie V.1 de la Loi sur la défense nationale telle que modifiée par la Loi antiterroriste et toute autre loi canadienne y compris la Charte des droits et libertés. Le Parlement a investi le Commissaire de pouvoirs extraordinaires pour s'acquitter de ses fonctions. Je n'hésiterai pas, au besoin, à les exercer.
Vous me permettrez, en terminant, de saluer le travail formidable de l'équipe qui m'entoure, petite en nombre mais grande en qualité. Des gens compétents, travailleurs, consciencieux, dévoués à leur mission, qui ont fort habilement facilité mon entrée dans ce monde fascinant, mais combien complexe, des renseignements étrangers. Je suis gré, aussi, au chef du CSE, monsieur John Adams, qui a mis en place toute une série de séances d'information, lesquelles m'ont permis de mieux comprendre le rôle et les activités du CSE. Je suis toutefois conscient que mon apprentissage ne fait que commencer.
Il me fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.
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