Présentation donné au symposium ACERS à Ottawa
Collecte de renseignements et reddition de comptes : Trouver le juste équilibre
Symposium organisé par l'Association canadienne pour les études de renseignement et de sécurité tenu au Musée canadien de la guerre, à Ottawa
le 20 novembre 2013, J. William Galbraith au symposium ACERS à Ottawa
Je vous remercie.
Nous sommes dans un nouveau contexte – depuis juin! Le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et le Bureau du commissaire du CST ont beaucoup retenu l'attention et suscitent de nombreuses discussions, ce qui n'est pas une mauvaise chose.
En effet, au cours des années passées, dans les sondages d'opinion publique, les organismes d'examen du renseignement étaient quasiment inconnus du public!
Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir s'il doit y avoir ou non davantage d'examens ou de surveillance, en particulier en ce qui concerne le CST. Il s'agit d'un débat pour mes co-panelistes qui ont tous plus ou moins écrit sur ce thème.
Mais je ferai des observations sur la situation actuelle et j'essaierai de clarifier plusieurs points et de rectifier certains éléments d'information qui se rapportent au commissaire, à son mandat et à certaines activités du CST, avant qu'ils ne deviennent des mythes trop fermement établis.
À cette fin, il y a six points que j'aimerais aborder brièvement.
Samedi dernier, le Ottawa Citizen a publié un long article sur le CST, faisant mention du bureau qui lui sert de chien de garde en critiquant pour son goût du secret. Cet article me donne un bon angle pour aborder mon premier point : La position particulière de l'organisme d'examen.
Vous connaissez les deux principaux organismes d'examen des agences de renseignement au Canada – le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) – qui tous deux exercent leurs activités à l'intérieur de « barrières de sécurité » puisque leurs employés disposent d'une habilitation de sécurité leur donnant pleinement accès aux documents, aux installations et au personnel de l'agence de renseignement. C'était l'intention expresse des législateurs lorsqu'ils ont adopté la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité portant création du SCRS et du CSARS, en 1984, après les scandales qui avaient discrédité le Service de sécurité de la GRC.
Lorsque le Bureau du commissaire du CST a été mis sur pied par décret, en 1996, on a adopté le même principe, qui a été enchâssé dans la législation en décembre 2001.
En même temps qu'il a accès à l'agence de renseignement, toutefois, l'organisme voué à l'examen a l'obligation, en vertu de la loi, de protéger l'information en sa possession provenant de l'agence qu'il examine. La Loi sur la protection de l'information et les politiques du gouvernement en matière de sécurité lient toutes les personnes qui manipulent cette information.
Si l'organisme d'examen se trouvait en dehors des barrières de sécurité et dans une position antagoniste, il en résulterait plein de bruit et de fureur, mais cela n'aboutirait pas nécessairement à un examen efficace.
Il existe, comme je l'ai décrit, une saine tension dans nos relations avec le CST, nous avons nos désaccords.
Le 13 juin dernier, dans une déclaration tout à fait inédite portant sur les métadonnées et d'autres sujets, le commissaire Décary a traité sans ménagements le CST et il a réussi à lui faire accepter de faire une plus grande divulgation. Certains de ces renseignements étaient classifiés « très secret ».
Des désaccords entre le commissaire et le CST aboutissent parfois devant le ministre de la Défense nationale, lequel est responsable du CST – Je vous citerai un exemple dans une minute – ce qui m'amène à mon second point : L'indépendance de l'organisme d'examen.
Le Bureau du commissaire du CST et le CSARS sont des organismes autonomes et indépendants. Nous sommes indépendants du gouvernement. La législation exige que l'organisme d'examen présente au ministre responsable de l'agence de renseignement un rapport annuel public que le ministre doit déposer au Parlement. Les rapports classifiés préparés par l'organisme d'examen sont également envoyés au ministre responsable.
C'est notre régime politique – qui repose sur la notion de responsabilité ministérielle. Il semble que cet élément fondamental ne soit pas très bien connu cependant puisque certains analystes laissent entendre que, du fait que les rapports d'examen sont remis au ministre, lequel est aussi responsable de l'agence de renseignement, l'organisme d'examen ne saurait être tout à fait indépendant.
Or, qui serait en mesure de s'assurer qu'une recommandation émanant du commissaire est mise en œuvre sinon un ministre responsable du gouvernement? Permettez-moi de vous donner un exemple convaincant à cet égard, de même qu'un autre concernant les désaccords qui aboutissent au niveau ministériel, afin de prouver l'efficacité du commissaire.
Il y deux ans, le commissaire Décary a formulé deux recommandations, dont l'une était que le CST « porte à l'attention du ministre certains renseignements liés à la vie privée », de façon à aider le ministre à mieux assumer sa responsabilité relativement au CST.
Dans un premier temps, le ministre a répondu qu'il était d'accord avec le refus du CST de mettre en œuvre la recommandation. Mais le commissaire a réexaminé sa recommandation puis déterminé qu'il ne renoncerait pas à celle-ci et il en a informé le ministre. En fin de compte, la recommandation a été acceptée par le ministre et le CST a reçu l'ordre de la mettre en œuvre. Si le commissaire n'était pas indépendant, l'issue aurait vraisemblablement été différente.
Voici un autre élément concernant l'indépendance : le commissaire du CST est tenu, en vertu de la loi, d'être un juge à la retraite ou un juge surnuméraire d'une cour supérieure.
Or, l'un des principes fondamentaux de notre système de justice est l'indépendance judiciaire. Leur profession repose sur les principes d'indépendance, d'impartialité et d'apolitisme, et ils ont coutume d'arrêter leurs conclusions en s'appuyant sur des faits. Et les commissaires, en tant qu'anciens juges, prennent leur indépendance très au sérieux.
Mon troisième point porte sur la question des autorisations ministérielles du CST par rapport aux mandats judiciaires.
Le commissaire est tenu en vertu de la loi d'examiner les activités sous l'égide d'autorisations ministérielles. Or, il s'agit d'un domaine autour duquel règne une certaine confusion caractérisée par des interprétations erronées.
Le libellé de la loi [art. 273.65 de la LDN] prête à confusion pour certaines personnes qui y voient uniquement « intercepter des communications privées » sans tenir compte du contexte.
Or, comme vous le savez pertinemment et l'avez entendu dire à maintes reprises, la loi interdit expressément au CST de cibler des Canadiens dans le cadre de ses activités.
Le régime d'autorisations ministérielles régissant la collecte de renseignements électromagnétiques étrangers n'existe qu'à seule fin d'autoriser le CST à recueillir des renseignements électromagnétiques étrangers; mais, ce faisant, il peut intercepter sa cible – c'est-à-dire l'entité étrangère à l'extérieur du Canada qui communique avec une personne au Canada, ce qui rencontre la définition d'une « communication privée » au sens du Code criminel. Avant la législation de 2001, le CST ne pouvait pas conserver ou utiliser ces interceptions.
Le régime d'autorisations ministérielles vise à combler cette lacune, en donnant au CST une dérogation par rapport au Code criminel, mais en lui imposant des conditions précises. Le CST ne cible pas un Canadien.
Un mandat de la cour, en revanche, cible un individu ou un groupe. Lorsque, par exemple, le Service canadien du renseignement de sécurité ou la Gendarmerie royale du Canada cherchent à obtenir ces pouvoirs, ils doivent convaincre le juge du bien-fondé de leur cause.
Dans la déclaration du commissaire Décary datée du 13 juin, celui-ci faisait allusion au « petit nombre de communications privées interceptées fortuitement par le Centre ». Ce « petit nombre » est suffisamment petit pour que le Bureau du commissaire puisse toutes les examiner; et c'est ce que nous faisons cette année. La plupart des communications privées sont détruites.
Par ailleurs, il est important de mentionner que le CST dispose, comme d'autres organismes gouvernementaux, de services juridiques mis à sa disposition par le ministère de la Justice.
Quatrième point : La taille de l'organisme d'examen par rapport à celle de l'agence de renseignement
Depuis que le CST est sous le feu des projecteurs depuis juin dernier, une question a été soulevée : Un juge à la retraite doté d'une petite équipe peut-il examiner efficacement les activités d'une grande organisation telle que CST? Seriez-vous surpris si je vous disais que les commissaires se sont souvent posé la même question?
Pour y répondre brièvement, je vous dirais que cette question est formulée dans le cadre du mandat actuel d'examen de la conformité à la loi. Si les citoyens se demandent ce que la loi autorise ou ce qu'impose le gouvernement, ces questions doivent être adressées à un autre niveau. J'ai un travail à faire pour le commissaire.
Sur ce point, pour être bref, la réponse est oui, le Bureau dispose des ressources voulues pour examiner avec efficacité le CST. Nous pouvons entrer dans les détails au cours des discussions si vous le souhaitez.
Une observation à cet égard : le CST a pris de l'expansion, et il en va de même pour le Bureau du commissaire. Le commissaire dispose de 11 employés – il y a cinq ans, le Bureau en comptait 8. En outre, le commissaire dispose de spécialistes dans différents domaines, dont deux effectuent également des examens et un ayant été recruté au cours des deux dernières années.
Vous trouverez à peu près les mêmes proportions dans les autres organismes d'examen et les agences soumises à l'examen.
Cela nous amène à mon cinquième point : Quelle est l'incidence de l'examen, c'est-à-dire dans quelle mesure le CST est-il tenu de rendre des comptes?
Le CST a souscrit à plus de 90 p. 100 des recommandations des commissaires. Nous avons effectué un suivi de toutes ces recommandations. Il s'agit d'un élément capital pour l'intégrité du processus d'examen et il en va de la crédibilité du commissaire.
De nombreux exemples me viennent à l'esprit concernant le travail d'examen. Permettez-moi de vous en citer un.
Par le passé, le commissaire a soulevé des questions concernant certaines activités du CST, se demandant entre autres s'il était pertinent pour le Centre de mener ces activités en vertu de son mandat de collecte de renseignements étrangers, ou s'il était plus approprié de mener ces activités en vertu de son mandat d'aider des organismes fédéraux d'application de la loi ou des agences de sécurité.
En raison de ces interrogations et d'autres examens connexes, le CST a suspendu les activités – ce qui n'a pas été sans conséquences de son côté. Il a réexaminé ces activités, puis il a apporté d'importants changements aux politiques, procédures et pratiques connexes.
Le CST a également fait preuve de transparence à l'égard du commissaire en soulevant avec lui des questions qui le préoccupaient au point de l'amener à suspendre ses activités spontanément afin de tirer les choses au clair – et cela en tenant le commissaire de même que le ministre informés.
Le dernier point, le point 6, est un très bref commentaire sur la portée du mandat du commissaire et son pouvoir.
Vous savez que le mandat du commissaire consiste à examiner les activités du CST pour s'assurer qu'elles sont conformes à la loi. Des changements dans la portée de ce mandat auraient des conséquences au niveau des ressources.
Mais, nous pouvons faire davantage dans le cadre de son mandat actuel. À cet égard, mentionnons surtout une initiative prise par le commissaire Décary il y a plus de deux ans, à la lumière d'un document de discussion que nous avions rédigé dans le contexte de la coopération opérationnelle entre le CST et le SCRS. Celle-ci consistait à étudier la possibilité de collaboration avec le CSARS dans les limites autorisées par la loi.
Lorsque des examens du commissaire portant sur certaines activités du CST concernent aussi le SCRS et que le commissaire ne peut effectuer un suivi, il envoie les questions au président du CSARS pour que ce dernier puisse assurer le suivi qu'il juge approprié. La situation peut également être inversée. Le rapport annuel le plus récent du commissaire décrit deux exemples et le rapport annuel du CSARS traite de certaines questions concernant à la fois le CST et le SCRS.
En ce qui concerne le pouvoir réel, je tiens à vous rappeler que si un juge à la retraite, investi de tous les pouvoirs que lui confère la Loi sur les enquêtes, y compris le pouvoir de sommer à comparaître, estime qu'il ne dispose pas de pouvoirs suffisants pour examiner les activités du CST et enquêter – en gros s'acquitter de son mandat – il le fera savoir, de la même façon que les commissaires ont fait connaître leur point de vue sur les ambiguïtés de la législation se rapportant aux activités du CST.
JE VOUS REMERCIE.
- Date de modification :