Message du commissaire : un court bilan au terme de mon mandat
Au moment où le ministre de la Défense nationale déposera ce rapport annuel devant le Parlement, je viendrai tout juste de compléter mon mandat de trois ans à titre de commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications (le Centre ou CSTC). Je viendrai tout juste, aussi, et ce, pour des raisons personnelles, de décliner l'offre de renouvellement de mon mandat. On me permettra de faire un court bilan de mon passage à la tête du Bureau du commissaire.
Les rapports et recommandations
Au cours de mon mandat, j'ai présenté au ministre de la Défense nationale 19 rapports d'examen. Ces rapports couvraient à peu près tous les aspects des activités du Centre, y compris celles menées en vertu d'autorisations ministérielles ou à la demande d'organismes voués à la sécurité ou à l'application de la loi. J'ai donc examiné toute une panoplie d'activités, entre autres : la collecte de renseignements électromagnétiques étrangers, la protection des renseignements électroniques et des infrastructures d'information importantes pour le gouvernement du Canada, et l'assistance technique et opérationnelle apportée par le Centre, notamment au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Mes rapports comprenaient 12 recommandations.
L'intégrité du processus d'examen et la crédibilité du Bureau du commissaire dépendent en grande partie du suivi effectué par le Bureau de la mise en œuvre par le Centre de ces recommandations. Je suis heureux de souligner que depuis 1997, 127 des 138 recommandations (soit 92 p. 100) contenues dans les 74 rapports classifiés que les commissaires ont remis au ministre ont été acceptées et mises en œuvre ou sont en voie de l`être. En d'autres termes, les mécanismes de protection de la vie privée qui sont en place sont constamment bonifiés et adaptés aux réalités mouvantes de la technologie et des opérations. À l'occasion, des recommandations ont entraîné la suspension par le Centre de certaines de ses activités pour réexaminer comment elles sont mises en œuvre, de même que des changements importants dans les politiques et pratiques adoptées par le Centre.
Le maintien de saines relations avec le Centre
Il me paraît indispensable qu'un organisme sous surveillance, à savoir le Centre, et qu'une agence de surveillance, mon bureau, cultivent des relations fondées sur le respect et la confiance. Le Centre a, de par la loi, l'obligation de prendre des mesures pour protéger la vie privée de toute personne au Canada et des Canadiens où qu'ils soient dans le monde. Le commissaire, de par la loi, a le mandat de s'assurer que le Centre se conforme à cette obligation. La protection de la vie privée est donc un objectif que le Centre et mon bureau ont en commun. Aussi m'apparaît-il essentiel que la relation de surveillance n'en soit pas une de supériorité, mais de complémentarité. Avec le recul, je vois mon bureau davantage comme la conscience du Centre que comme une épée de Damoclès, et je crois que le centre me perçoit de plus en plus ainsi.
Je suis en mesure d'affirmer que les chefs en poste, John Adams d'abord, John Forster ensuite, n'ont ménagé aucun effort pour développer au sein du Centre une culture de respect de la loi et de la vie privée des Canadiens. Tous deux ont été des interlocuteurs honnêtes, coriaces parfois, mais toujours de bonne foi.
La transparence
Dès mon entrée en fonction, je me suis affairé à démystifier, sous réserve bien sûr des contraintes inévitables imposées par la sécurité nationale et par la sécurité publique, ce culte du secret qui imprègne les activités des services du renseignement ou de sécurité. Je crois que j'ai réussi dans une certaine mesure à vulgariser les termes on ne peut plus rébarbatifs utilisés dans ce milieu. Le plus beau compliment qu'on m'ait fait est celui d'avoir, dans mes rapports annuels, décrit mes activités et celles du Centre avec un degré de précision jusque-là inédit. Il reste beaucoup à faire, encore, mais je crois que la glace est brisée et que les autorités concernées comprennent mieux aujourd'hui qu'il est possible, sans trahir des secrets d'État et sans mettre en péril la sécurité nationale, d'expliquer avec beaucoup plus d'ouverture le travail qu'elles font. Plus la transparence sera grande, plus le scepticisme et le cynisme de la population iront s'atténuant.
C'est dans ce contexte que mon bureau organise à l'occasion des déjeuners-rencontres avec des spécialistes des domaines de la sécurité nationale et de la protection de la vie privée. Ces derniers tirent grand profit à mieux connaître nos méthodes de travail, et nous tirons grand profit à mieux connaître leurs points de vue et leurs intérêts.
La complémentarité des activités des agences canadiennes de surveillance
Mon bureau et le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS) ont des fonctions similaires, mais nous sommes régis par des lois différentes qui ne nous donnent pas l'autorité voulue pour conjuguer nos efforts. Le Centre et le SCRS opèrent également en vertu de lois différentes, mais leurs lois respectives les autorisent à collaborer. Tandis que le Centre et le SCRS collaborent et mènent des actions conjointes, mon bureau et le CSARS n'ont pas la possibilité de mener une enquête conjointe. Il existe quand même une certaine possibilité de collaboration en vertu de la législation actuelle. Ainsi, par exemple, dans les domaines où je n'ai pas le mandat pour faire le suivi, je peux renvoyer au CSARS certaines questions pertinentes concernant le SCRS. Outre ce type d'activités, une collaboration formelle, comme le partage des renseignements opérationnels spéciaux, pourrait requérir l'intervention et l'approbation du cabinet et peut-être des modifications législatives. L'idéal serait que les lois permettent, voire encouragent d'office une telle collaboration.
La création d'une superstructure proposée dans le rapport d'une commission d'enquête antérieure, laquelle regrouperait les agences de surveillance, ne me paraît pas une solution utile à ce stade. Avant de créer une superbureaucratie additionnelle, avec la lourdeur et les coûts que cela entraîne, il me semble plus sage d'essayer d'utiliser au maximum les organismes déjà en place et de leur permettre d'unir leurs efforts quand la situation l'exige.
Une autre forme de collaboration entre les organismes de surveillance est apparue récemment. Mon bureau offre un séminaire d'apprentissage aux nouveaux employés des différentes agences de surveillance. L'objectif est d'expliquer diverses méthodes de surveillance et de contribuer au développement de pratiques d'examen plus rigoureuses.
Le partage des renseignements avec des partenaires étrangers
Avec l'accroissement de la collaboration internationale dans ce domaine, il est important de s'assurer que les pays et organismes étrangers avec lesquels le Canada échange des renseignements protègent avec autant de rigueur que nous la vie privée des Canadiens lorsque la situation se présente. Ce n'est pas là une tâche facile. D'une part, en effet, les nations sont souveraines et ne souffrent guère d'interventions dans leurs affaires internes, surtout en matière de sécurité. D'autre part, les organismes et mécanismes de surveillance varient d'un pays à un autre. En l'absence de normes internationales, le meilleur moyen de protéger la vie privée des Canadiens dans le partage de renseignements avec les partenaires étrangers est de travailler à l'établissement dans les autres pays d'organismes de surveillance qui soient forts et indépendants, ce que nous faisons déjà dans une certaine mesure.
Depuis un quinzaine d'années, tous les deux ans, une conférence regroupe les agences de surveillance d'une douzaine de pays, dont les membres du groupe dit des « Five Eyes » (Canada, États-Unis, Grande-Bretagne, Australie et Nouvelle-Zélande). Cette rencontre ouvre des perspectives nouvelles et est source d'échanges enrichissants et de découvertes stimulantes. Qui plus est, ces conférences permettent à des pays où le principe d'une surveillance indépendante émerge à peine, de participer comme observateurs et de s'inspirer de ce qui se passe ailleurs. Le Canada a été l'hôte de cette conférence en mai 2012.
Sur un plan bilatéral, mon bureau s'est employé à tisser des liens dès que l'occasion se présentait avec des interlocuteurs étrangers. L'an dernier, par exemple, j'ai rencontré les membres d'une délégation de parlementaires français en quête d'information sur la nature et le fonctionnement des agences canadiennes de surveillance. J'ai aussi eu des discussions avec des membres du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité de la Belgique. À un autre moment, j'ai rencontré les membres du comité parlementaire britannique du renseignement et de la sécurité. Je souhaite que ce genre de rencontres se répète plus souvent.
La cybersécurité et les cyberattaques
On ne peut plus parler de sécurité sans évoquer les cybermenaces. Il ne se passe pas de semaine où le risque de pénétration de systèmes informatiques publics et privés ne fait pas la manchette. Le Centre, de par son mandat, est appelé à jouer un rôle déterminant dans la protection des renseignements électroniques et des infrastructures d'information importantes pour le gouvernement du Canada. C'est Sécurité publique Canada qui veille, de son côté, à la protection des infrastructures essentielles qui peut impliquer le secteur privé, tirant profit au besoin de l'expérience du Centre.
Comme il est inévitable qu'au cours de certaines activités de protection des technologies de l'information, le Centre soit amené à intercepter fortuitement des communications privées de Canadiens, mon bureau a fait preuve ces dernières années d'une vigilance accrue dans ce domaine. Des examens ont été menés à bien, d'autres sont en cours et je suis convaincu que mon successeur maintiendra le cap à cet égard.
Les modifications législatives à la Loi sur la défense nationale
J'avais entrepris mon mandat avec la conviction que les modifications à la Loi sur la défense nationale proposées par mes prédécesseurs seraient adoptées sous peu. Elles ne l'ont pas encore été. J'avoue être profondément déçu du manque d'empressement du gouvernement, lequel n'a plus aujourd'hui l'excuse d'un statut minoritaire. Ces modifications qui élimineraient les ambigüités signalées par mes prédécesseurs et moi-même, je l'ai dit à plusieurs reprises, auraient pour effet de bonifier des dispositions adoptées à toute vapeur dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. À mon avis, elles ne devraient pas soulever de controverse.
L'indépendance du Bureau du commissaire
Le Bureau a obtenu son indépendance institutionnelle et financière il y a un peu plus de cinq ans quand il s'est vu confier son propre budget approuvé par le Parlement. Jusqu'alors, son budget faisait partie de celui du ministère de la Défense nationale. Pour souligner cette indépendance, le commissaire a émis pour la première fois, en 2011, son premier communiqué faisant état du dépôt au Parlement de son rapport annuel par le ministre de la Défense nationale. L'autonomie financière a cependant ses revers. Le Bureau, qui est un petit organisme disposant d'un budget d'environ 2 millions de dollars, est astreint aux mêmes exigences en matière de comptabilité que les autres ministères dont le budget se chiffre parfois en termes de milliards de dollars. C'est là, me semble-t-il, un cas de bureaucratie excessive qui se traduit par la préparation d'une foule de rapports dont l'utilité est douteuse aussi bien pour mon bureau que pour ceux qui s'y intéressent.
- Date de modification :