Mémoire relatif au projet de loi C-36, Loi antiterroriste, portant sur les parties du projet de loi C-36 qui s'appliquent au Centre de la sécurité des télécommunications et au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications
Mémoire relatif au projet de loi C-36, Loi antiterroriste, portant sur les parties du projet de loi C-36 qui s'appliquent au Centre de la sécurité des télécommunications et au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, présenté au
Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes par l'honorable Claude Bisson, O.C., Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications,
Ottawa
Le 9 novembre 2001
Considérations d'ordre général
Lors de ma comparution devant le Comité spécial sénatorial sur la teneur du projet de loi C36, j'ai mentionné d'entrée de jeu que je me bornerais à faire des commentaires sur les aspects du projet de loi touchant aux mandats, attributions et responsabilités du Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et aux activités de mon bureau. J'ai adopté une approche similaire en ce qui concerne le présent mémoire.
Ces derniers temps, d'aucuns ont exprimé le souhait que l'on dote le CST d'un fondement législatif (voir, à ce sujet, le rapport du Comité d'examen parlementaire de la LSCRS de 1990, le rapport du commissaire à la protection de la vie privée de 1996 et les rapports du vérificateur général de 1996 et de 1998). Quatre de mes rapports annuels publics traitent aussi de cette question. Bien que le CST se soit très bien tiré d'affaire depuis sa création en 1946, et ce, sans s'appuyer sur une loi qui lui serait consacrée, je crois que la loi le concernant introduira un élément de certitude qui n'existe pas à l'heure actuelle. Des problèmes uniques sont liés à l'élaboration d'une loi s'appliquant au CST. Cette loi devra notamment être assez souple pour que ses dispositions ne deviennent pas désuètes en raison de l'évolution rapide de la technologie et des environnements de la sécurité et du renseignement.
J'estime également que le projet de loi C-36 aborde ces difficultés, dans la mesure où il met l'accent sur les tâches et responsabilités suivant des principes généraux et non pas en fonction d'une orientation technique détaillée. De plus, il énonce clairement l'obligation qu'a le CST de prendre des mesures appropriées pour protéger la vie privée des Canadiens parallèlement à l'exécution de ses fonctions. Je suis aussi heureux de constater que ce projet de loi crée de nouvelles possibilités en introduisant une loi pour mon propre bureau et particulièrement en ce qui concerne l'approche adoptée en matière d'examen.
Des débats récents au sujet du projet de loi C-36 ont engendré des discussions sur le mécanisme qui conviendrait le mieux pour examiner les activités du CST, et il y plusieurs modèles parmi lesquels un choix pourrait être fait. Lorsqu'on m'a demandé s'il serait plus approprié que le commissaire relève du Parlement, j'ai déclaré dans ma réponse que je ferais rapport à quiconque serait désigné à cette fin par les législateurs. À mon avis, le modèle proposé pour le CST, qui est similaire à celui que l'on utilise actuellement, non seulement fonctionne, mais il est approprié aux circonstances.
Premièrement, je fais rapport chaque année au Parlement par l'entremise du ministre de la Défense nationale, lorsque mon rapport annuel est déposé. Deuxièmement, je peux rendre compte directement au ministre sur des questions touchant des renseignements classifiés ou délicats. Et troisièmement, aux termes de mon mandat, je suis tenu d'informer non seulement le ministre mais aussi le procureur général du Canada de toute activité du CST qui, selon moi, n'est pas conforme à la loi.
Compte tenu de l'environnement hautement sécuritaire dans lequel le CST doit exercer ses activités, le modèle d'un commissaire unique bénéficiant de l'appui de spécialistes compétents permet d'obtenir un équilibre adéquat entre la nature délicate et confidentielle du travail et la nécessité de faire rapport au gouvernement et au Parlement.
Activités et mandat actuels du commissaire
J'ai d'abord été nommé au poste de commissaire du CST en vertu d'un décret prononcé en application de la partie II de la Loi sur les enquêtes, le 19 juin 1996, et ce, pour une période de trois ans. En juin 1999, mon mandat fut renouvelé pour une autre période de trois ans.
Mes deux principales attributions sont les suivantes :
-
examiner les activités du CST afin de vérifier si elles sont conformes aux lois du Canada; et
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enquêter au sujet de toute plainte concernant la légalité des activités du CST, ayant été déposée par un citoyen canadien ou un résident permanent du Canada.
Tel que mentionné plus haut, je présente un rapport annuel sur mes activités et conclusions au ministre de la Défense nationale, qui le dépose au Parlement. Compte tenu de la nature des activités que j'examine, je soumets aussi au ministre, lorsque je juge qu'il convient de le faire, des rapports contenant de l'information confidentielle. À ce jour, j'ai soumis 19 rapports de ce genre et j'y fais allusion dans mon rapport public.
La partie II de la Loi sur les enquêtes fait état de manière très claire de mes pouvoirs d'accès, d'enquête et d'examen en ce qui a trait à toute question se rapportant aux activités du CST. Je suis autorisé à mobiliser des employés, conseillers et avocats afin d'obtenir l'aide que je juge nécessaire pour m'acquitter de mes tâches et fonctions.
Comment le commissaire examine les activités du CST
Comme je l'ai indiqué dans mon dernier rapport annuel, lequel fut déposé au Parlement en mai 2001, mon bureau identifie tous les ans, à des fins d'examen, des activités du CST pouvant poser des problèmes sur le plan de la légalité ou encore nuire à la protection de la vie privée des Canadiens. En plus de mon personnel permanent, il m'arrive d'engager des spécialistes qui m'aident à effectuer mes examens. Je peux compter sur plusieurs personnes, qui mettent à la disposition de mon bureau un vaste bassin de connaissances et de compétences dans des domaines tels que la vérification, l'examen, les politiques, la technologie de l'information, l'application de la loi et les activités opérationnelles. Mais le trait qui les unit est l'ampleur de leurs connaissances spécialisées dans le domaine du renseignement.
Je transmets les résultats de mes examens au ministre sous forme de rapports qui sont confidentiels dans la mesure où ils contiennent de l'information de nature délicate se rapportant spécifiquement aux activités opérationnelles du CST (méthodes, sources, cibles, capacités technologiques, etc.).
La méthodologie d'examen que suit mon bureau est simple mais exhaustive. Nous commençons par examiner les outils et fondements juridiques (priorités annuelles du gouvernement en matière de renseignement, etc.) qui régissent les activités du CST, puis nous étudions ses politiques internes afin d'établir si elles tiennent adéquatement compte des exigences juridiques et des visées du gouvernement. Nous examinons ensuite les directives et procédures opérationnelles propres au CST. Nous scrutons, enfin, ses pratiques opérationnelles afin d'établir si l'activité qu'il poursuit est conforme à la loi et aux politiques.
En dépit des dispositions de la partie II de la Loi sur les enquêtes, je tiens à préciser qu'en tout temps, j'ai pu profiter d'un accès illimité à tous les documents, fichiers, dossiers, systèmes électroniques et bases de données du CST, et j'ai pu aussi compter sur la collaboration de tous les employés du CST qui, selon moi, étaient étroitement associés à l'activité examinée.
Fonction relative aux plaintes
Dans le cadre de mon mandat actuel, je suis habilité à enquêter au sujet de plaintes concernant la légalité d'activités du CST et ayant été faites par un citoyen canadien ou un résident permanent. J'ai aussi le pouvoir de sommer toute partie visée par une plainte de comparaître à une audience à huis clos et de faire sous serment une déposition écrite ou verbale. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas reçu de plainte ayant nécessité une enquête en bonne et due forme.
Si je juge qu'une plainte ne relève pas de ma compétence, je peux recommander au plaignant de s'adresser à l'agence ou à l'organisme d'examen approprié du gouvernement. Et lorsque j'estime qu'une plainte est futile, frivole, vexatoire ou qu'elle a été faite de mauvaise foi, je ne prends aucune mesure.
Commentaires sur certaines dispositions du projet de loi C-36
Mesures opérationnelles prises en vertu d'autorisations ministérielles
Le mandat de base du CST, tel qu'énoncé à l'article 273.64, et mon propre mandat, tel que décrit à l'article 273.63, n'ont pas d'incidence marquée sur la poursuite des activités quotidiennes du CST ou de mon bureau. Mais les dispositions prévoyant que le CST peut prendre certaines mesures opérationnelles en vertu d'autorisations ministérielles et en application de l'article 273.65 du projet de loi et l'exigence selon laquelle je dois examiner ces mesures, sont à fois nouvelles et significatives.
L'article 273.65 habilite le ministre de la Défense nationale à autoriser le CST à intercepter des communications privées aux fins de l'obtention de renseignements étrangers ou de la protection des systèmes ou des réseaux informatiques du gouvernement. Dans le cas d'interceptions effectuées aux fins de la collecte de renseignements étrangers, le projet de loi stipule précisément que l'interception doit viser des entités situées en dehors du Canada. Dans le projet de loi, l'expression « communication privée » a le même sens qui celui énoncée à l'article 183 du Code criminel, lequel se lit comme suit :
« communication privée » Communication orale ou télécommunication dont l'auteur se trouve au Canada, ou destinée par celuici à une personne qui s'y trouve, et qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elle ne soit pas interceptée par un tiers. La présente définition vise également la communication radio téléphonique traitée électroniquement ou autrement en vue d'empêcher sa réception en clair par une personne autre que celle à laquelle son auteur la destine.
Le paragraphe 184(1) figurant dans la partie VI du Code criminel prévoit en outre ce qui suit :
Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, au moyen d'un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, intercepte volontairement une communication privée.
Cela étant dit, il est mentionné à l'article 273.69 du projet de loi C-36 que la partie VI du Code criminel ne s'applique pas à l'interception de communications par le CST, telle qu'effectuée en vertu d'une autorisation ministérielle. Autrement dit, cet article aurait pour effet de permettre aux employés du CST de se soustraire à l'application des dispositions du Code criminel dans l'éventualité où ils se trouveraient, alors qu'ils s'acquittent de leurs fonctions, à intercepter une communication privée.
Bien que cette dérogation aux dispositions du Code criminel soit exceptionnelle, je ne trouve pas qu'elle soit excessive compte tenu des circonstances dans lesquelles elle s'appliquerait. Le projet de loi C-36 établit des critères particuliers qui doivent être satisfaits avant d'intercepter, de garder et d'utiliser des communications privées. Ce qui m'intéresse tout particulièrement, ce sont les mesures qui doivent être mises en place, ainsi que les conditions supplémentaires qui peuvent être imposées par le ministre, en vue de protéger la vie privée des Canadiens.
Ces nouvelles dispositions ne font que mettre en relief l'importance de la fonction d'examen que doit assumer le commissaire du CST. J'estime que les pouvoirs et l'accès prévus par cette loi me permettront de continuer à examiner les activités du CST, notamment celles menées en vertu d'une autorisation ministérielle, afin de m'assurer qu'elles sont conformes aux lois du Canada.
Modification de la Loi sur les secrets officiels
La partie 2 du projet de loi C-36 propose plusieurs modifications à la Loi sur les secrets officiels. Celle figurant à l'article 15 (la « défense d'intérêt public ») présente un intérêt particulier pour moi.
Les dispositions actuelles de la Loi sur les secrets officiels concernant la divulgation de renseignements confidentiels constituent une préoccupation depuis longtemps étant donné que le gouvernement est habituellement tenu de rendre publics d'autres renseignements confidentiels lorsqu'il souhaite démontrer que la divulgation de certains renseignements de ce type s'est révélée néfaste, et que cela pourrait avoir d'autres conséquences indésirables.
Le projet législatif actuel introduit une série de seuils qui doivent être atteints avant qu'une personne « astreinte au secret à perpétuité » aux termes du paragraphe 8(1) des modifications puisse invoquer une défense d'intérêt public pour justifier la communication de « renseignements opérationnels spéciaux ». Le commissaire bénéficie d'un droit de regard ultime dans l'éventualité où quelqu'un serait préoccupé par la possibilité qu'un membre du CST ait été impliqué dans la perpétration d'une infraction présumée alors qu'il s'acquittait de ses tâches et fonctions.
À mon avis, cette proposition recèle une approche valable pour appréhender un problème difficile et persistant. Toutefois, je ne crois pas que ses effets sur le plan pratique puissent être pleinement évalués à ce stade; aussi je compte surveiller attentivement sa mise en œuvre.
Autres questions dignes d'intérêt
Nomination du commissaire
La nomination du commissaire est régie par les dispositions du paragraphe 273.63(1), lequel se lit comme suit : « Le gouverneur en conseil peut nommer, à titre inamovible pour une période maximale de cinq ans, un juge à la retraite surnuméraire d'une juridiction supérieure qu'il charge de remplir les fonctions de commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. » Ce paragraphe donne à penser que la nomination du commissaire est facultative et ne constitue pas une exigence. En règle générale, les dispositions de la loi habilitante d'autres organismes d'examen et commissaires sont plus prescriptives et c'est pourquoi je souhaite ardemment que l'on étudie la possibilité de remplacer le mot peut par le mot doit.
Pouvoirs d'enquête
En sus des pouvoirs conférés au commissaire par le paragraphe 273.63(3) en application de la partie II de la Loi sur les enquêtes, et afin d'établir les faits avec plus de certitude, il importe de noter que le droit qu'a le commissaire d'accéder à l'information et aux documents que détient le CST (hormis les renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine) devrait être confirmé.
Instructions à l'intention du commissaire
J'ai des préoccupations au sujet du paragraphe 273.63(6) du projet de loi, lequel habilite « le gouverneur en conseil [à] donner des instructions au commissaire sur l'exercice de ses fonctions » et empiète, selon moi, sur les pouvoirs conférés au commissaire par la partie II de la Loi sur les enquêtes. De plus je crois que le fait de conférer ces pouvoirs au gouverneur en conseil porterait atteinte à l'indépendance du commissaire. C'est pourquoi je suis en train de faire des démarches pour obtenir une dispense de cette disposition et que j'ai aussi demandé qu'elle soit remplacée par une disposition similaire, qui figure dans des lois concernant d'autres commissaires, notamment l'article 55 de la Loi sur les langues officielles :
Le commissaire exerce les attributions que lui confèrent la présente loi et toute autre loi fédérale; il peut en outre se livrer à toute activité connexe autorisée par le gouverneur en conseil.
Dispositions provisoires
Toujours dans le but d'agir avec plus de certitude, il pourrait être utile de prévoir au paragraphe 273.64(7) que le commissaire soit habilité à continuer à examiner une activité ou une plainte ayant été faite subséquemment à ma nomination le 19 juin 1996 et avant la date d'entrée en vigueur des présentes modifications.
Conclusion
Le régime mis sur pied en vertu du projet de loi C-36 au profit du CST est doté d'une orientation très nette et il est par ailleurs adapté à la nature technique et hautement confidentielle des activités que le CST exerce dans le cadre de son mandat. J'estime que les dispositions du projet de loi qui réglementeraient les activités de mon bureau sont tout aussi appropriées. À ce jour, j'ai constaté la légalité des activités du CST et j'en ai donné l'assurance au ministre de la Défense nationale. Je suis persuadé que l'adoption du projet de loi C-36 va donner plus de précision à mon examen et mes fonctions à cet égard.
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