Contexte de l'examen

Plusieurs éléments clés ont contribué à façonner le contexte dans lequel le bureau a effectué son travail au cours de l'année écoulée. Certains de ces éléments ont été décrits et commentés par mes prédécesseurs dans leurs rapports annuels. Dans le présent rapport, j'attirerai l'attention sur des éléments qui n'ont pas été abordés jusqu'à présent, ainsi que sur des faits nouveaux survenus dans les dossiers courants.

Interprétation juridique

Depuis l'adoption de la Loi antiterroriste en décembre 2001, les personnes qui ont occupé le poste de commissaire du CST sont aux prises avec un dilemme persistant qui découle des modifications que cette loi omnibus a apportées à la Loi sur la défense nationale. La fonction d'examen du commissaire relative aux activités du CST menées sous le régime d'une autorisation ministérielle délivrée dans le seul but de recueillir des renseignements étrangers, a été une question particulièrement épineuse, étant donné l'absence de consensus sur l'interprétation de dispositions clés de la Loi.

D'un côté, mes prédécesseurs et moi avons reconnu l'importance des activités du CST, ainsi que les avantages que le gouvernement du Canada retire des renseignements étrangers qu'il lui fournit, notamment à une époque où la menace du terrorisme mondial n'a pas perdu de son intensité et où la sécurité de nos soldats en Afghanistan est toujours menacée.

De l'autre, nous avons soutenu sans équivoque, pendant nos mandats respectifs, que l'interprétation et les avis juridiques concernant les autorisations ministérielles fournis au CST par le ministère de la Justice ne sauraient s'appuyer sur une simple lecture des dispositions pertinentes de la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale, et chacun d'entre nous en a informé le ministre de la Défense nationale en poste. De plus, mon prédécesseur immédiat, le très honorable Antonio Lamer, et moi-même avons tous les deux fait connaître nos positions aux personnes concernées au bureau du procureur général du Canada.

Au moment de déterminer si une activité est légale, je vérifie d'abord ce que la loi dit à ce sujet. La loi pertinente devient alors l'aune à laquelle on juge de la légalité de l'activité en cause. Il est difficile de le faire lorsque, dans des cas comme celui-ci, il existe des divergences d'opinion fondamentales sur ce que dit la loi.

La loi manque de clarté et elle doit être modifiée.

Je ne mets pas en doute le rôle du ministère de la Justice dans l'élaboration de la loi et je ne vois pas non plus mon rôle de commissaire comme celui d'un arbitre dans son interprétation. Toutefois, comme je l'ai mentionné au ministre de la Défense nationale et au procureur général du Canada, la loi manque de clarté et elle doit être modifiée. C'est là un point de vue que partageaient également mes deux prédécesseurs.

Cette question est à l'étude depuis un certain temps, et j'espère que le gouvernement procédera aux modifications requises à la première occasion. Je suis convaincu que la tâche ne sera pas trop lourde, car d'autres pays ont réussi à adopter et appliquent aujourd'hui des lois pour répondre à des exigences similaires.

Retard des lois sur les progrès technologiques

Au fil du temps, le fossé ne cesse de se creuser entre les nouvelles technologies et les connaissances du grand public dans ce domaine. À plusieurs égards, les lois canadiennes n'ont pas non plus suivi le rythme de l'évolution technologique. Nous avons besoin d'une approche plus créative. À l'heure actuelle, des criminels et des terroristes sont passés maîtres de ces technologies complexes, car, contrairement aux institutions démocratiques, leur élan n'est pas freiné par des contraintes juridiques. Ceux qui participent au processus législatif doivent donc éviter de produire des lois visant les technologies du jour, qui seront vite dépassées. Nous devons plutôt veiller à ce que nos lois aient une portée assez large et soient structurées – par la réglementation ou autrement – de façon à pouvoir s'appliquer aux nouvelles technologies et ainsi à continuer de protéger à la fois notre vie privée et notre sécurité.

Examen triennal de la Loi antiterroriste

La Loi antiterroriste a modifié entre autres la Loi sur les secrets officiels et la Loi sur la défense nationale. Les modifications apportées à cette dernière comportent notamment l'établissement d'un cadre législatif pour le CST et le commissaire du CST.

La Loi antiterroriste prévoyait la tenue d'un examen de ses dispositions et de son application trois ans après sa sanction royale, examen qui devait être mené par un comité du Sénat ou de la Chambre des communes, ou un comité mixte, désigné ou mis sur pied à cette fin. Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre a mis sur pied un sous-comité dans ce but à l'automne 2004. Parallèlement, le Sénat a également créé un comité spécial chargé de procéder à un examen approfondi de la Loi. Comme le mentionne le Rapport annuel 2006-2007, mon prédécesseur a comparu devant le Comité sénatorial spécial le 13 juin 2005 et, deux jours plus tard, devant le Sous-comité de la Chambre des communes. Le Comité sénatorial spécial a déposé son rapport le 22 février 2007, et le Sous-comité de la Chambre, le 27 mars 2007.

Recommandations du Comité sénatorial spécial

Le Comité était rassuré par le fait que notre bureau est tenu de vérifier la légalité des activités du CST.

Le Comité sénatorial spécial a présenté plusieurs recommandations concernant le CST, ainsi que le bureau du commissaire. En ce qui a trait au CST, le Comité s'est concentré sur les autorisations ministérielles et s'est dit d'accord avec les explications du CST quant aux raisons pour lesquelles l'organisme a besoin d'intercepter des communications privées dans le cadre de ses activités de collecte de renseignements étrangers et de protection de la sécurité des technologies de l'information. Il a également accepté les explications du commissaire Lamer quant à la légitimité du recours à des autorisations ministérielles plutôt qu'à des autorisations judiciaires pour permettre l'interception de communications privées, étant donné que les mandats des tribunaux canadiens n'ont aucune portée à l'extérieur du pays[1]. Le Comité était rassuré par le fait que notre bureau est tenu de vérifier la légalité des activités du CST, notamment l'interception de communications privées sous le régime d'une autorisation ministérielle. Il demeurait cependant préoccupé, tout comme le commissaire Lamer, par le manque de clarté de la norme requise pour convaincre le ministre que toutes les conditions nécessaires pour recourir à l'interception de communications privées étaient remplies. Le Comité a donc recommandé que les paragraphes 273.65(2) et (4) de la Loi sur la défense nationale soient modifiés de façon à préciser si ces conditions doivent être fondées sur une croyance raisonnable ou sur des soupçons raisonnables[2]. Il s'agit d'une question à laquelle mon bureau attache de l'importance et une clarification serait la bienvenue.

Comme le Comité souhaitait s'assurer que l'information interceptée était détruite s'il se révélait qu'elle n'était pas essentielle, ou lorsqu'elle n'était plus essentielle, il a recommandé que le CST élabore des politiques relatives à la conservation et à la destruction des renseignements, prévoyant notamment des délais précis pour l'élimination des renseignements interceptés, et qu'il rende ces politiques publiques[3].

Dans le but de satisfaire aux principes de la reddition de comptes et de la transparence, le Comité a en outre recommandé que le ministre de la Défense nationale ou le CST soit tenu de rendre compte annuellement au Parlement du nombre d'autorisations ministérielles accordées au cours de l'année, du nombre d'autorisations encore en vigueur à la fin de l'année et du but général pour lequel chacune d'elles a été accordée (c'est-à-dire, pour l'obtention de renseignements étrangers ou pour la protection des systèmes ou réseaux informatiques)[4].

La Loi antiterroriste a également modifié la Loi sur les secrets officiels et l'a rebaptisée Loi sur la protection de l'information. Cette loi établit le processus que les personnes astreintes au secret à perpétuité doivent suivre pour se prévaloir de la défense d'intérêt public en vue de la divulgation de renseignements classifiés. Le commissaire peut recevoir des renseignements classifiés dans le cadre de ce processus (voir l'annexe A). Or, la Loi sur la protection de l'information ne précise pas ce qu'il doit faire lorsque ces renseignements sont entre ses mains[5]. Le Comité a recommandé que le gouvernement précise la marche à suivre dans ce cas[6]. Je dois mentionner que mon bureau s'est doté de politiques et de procédures internes pour combler les lacunes cernées par le Comité.

Enfin, le Comité a discuté de la surveillance et de l'examen des dispositifs canadiens en matière de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme. Il a mentionné que notre bureau « est généralement perçu comme étant un mécanisme de surveillance efficace »[7]. Il a recommandé qu'un comité sénatorial permanent soit mis sur pied pour surveiller la législation antiterroriste et les dispositifs de sécurité nationale et qu'il rende compte périodiquement de ses conclusions. Le Comité a en outre recommandé que le Parlement procède à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste tous les cinq ans.

Recommandations du Sous-comité de la Chambre des communes

La méthode d'examen de mon bureau prévoit toujours un examen de conformité à la Charte et à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Dans son rapport final sur l'examen de la Loi antiterroriste, le Sous-comité de la Chambre a également traité de la question des autorisations ministérielles. J'ai été heureux de constater en particulier que le Sous-comité a mis en relief les observations de mon prédécesseur dans son rapport annuel 2006-2007 au sujet des ambiguïtés et imprécisions des dispositions de la loi à ce sujet, et des divergences entre mon bureau et le ministère de la Justice sur l'interprétation de ces dispositions. Sans formuler de recommandation particulière à ce sujet, le Sous-comité nous a néanmoins pressés, le conseiller juridique du gouvernement et moi-même, de régler cette question dans les meilleurs délais. Il a de plus demandé que le gouvernement précise, dans sa réponse au rapport final du Sous-comité et dans la mesure du possible, les points de désaccord et la façon dont ils ont été réglés. Si cela n'est pas fait, le Sous-comité est d'avis que je devrais fournir ces renseignements dans mon rapport annuel 2007-2008[8]. J'entends réexaminer cette recommandation quand viendra le temps de préparer ce rapport.

Le Sous-comité a également fait sienne la recommandation de la commissaire à la protection de la vie privée voulant que le paragraphe 273.65(8) de la Loi sur la défense nationale soit modifié de manière à ce que le commissaire du CST soit tenu d'examiner les activités d'interception de communications privées découlant d'une autorisation ministérielle, afin de s'assurer qu'elles respectent les exigences de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de même que l'autorisation elle-même. Cette position a été appuyée par une autre recommandation voulant que l'article 273.66 de la Loi sur la défense nationale soit modifié de manière à ce que le CST ne puisse entreprendre que des activités qui sont compatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la protection des renseignements personnels, ainsi qu'avec les restrictions à l'exercice de son mandat déjà établies dans cet article[9]. Je dois souligner que la méthode d'examen de mon bureau prévoit toujours un examen de conformité à la Charte et à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Quant à l'examen et à la surveillance, le Sous-comité a recommandé que le projet de loi C-81 déposé pendant la 38e législature, Loi sur le Comité de parlementaires sur la sécurité nationale, ou une variante de celui-ci, soit déposé au Parlement à la première occasion. En outre, il a recommandé que le mandat de ce comité comprenne des vérifications de la conformité de certains ministères et organismes, tels que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le CST, et des éléments de la GRC chargés de la sécurité nationale, avec les dispositions de la Loi antiterroriste[10]. Dans son rapport annuel de l'an dernier, mon prédécesseur appuyait l'idée d'un examen parlementaire plus dynamique des activités liées à la sécurité nationale, mais soulignait également les défis qui y sont associés, notamment en ce qui a trait à la composition du comité et à son accès à des documents et renseignements classifiés. Je souscris à cette position dans l'ensemble et je me propose de présenter des observations précises sur le sujet lorsqu'un projet de loi sera déposé.

Enfin, le Sous-comité a recommandé qu'on procède à un autre examen complet des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste devant commencer au plus tard le 31 décembre 2010 et se terminer au plus tard le 31 décembre 2011. Il a souligné que le comité de parlementaires proposé serait bien placé pour procéder à cet examen[11].

Commission d'enquête O'Connor

La Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar a été mise sur pied le 5 février 2004. Elle a reçu le mandat d'enquêter et de faire rapport sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (enquête sur les faits), ainsi que de formuler des recommandations sur la création d'un mécanisme d'examen indépendant des activités de la GRC liées à la sécurité nationale (examen de la politique). L'honorable Dennis O'Connor a été nommé commissaire de l'enquête. Il a publié son rapport sur l'examen de la politique le 12 décembre 2006.

Pour pouvoir procéder à un examen intégré des activités de sécurité nationales intégrées, le commissaire O'Connor a recommandé que des passerelles législatives soient établies entre la Commission indépendante d'examen des plaintes et des activités en matière de sécurité nationale visant la GRC qu'il propose de créer, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le Bureau du commissaire du CST afin de permettre l'échange d'information, le renvoi d'enquêtes à un autre organisme, la tenue d'enquêtes conjointes, ainsi que la coordination et la préparation des rapports[12]. Je suis favorable à cette proposition, bien qu'à ce jour l'absence de passerelle n'ait jamais été un obstacle opérationnel.

J'ai pris note avec satisfaction de l'observation suivante dans le rapport du juge O'Connor : « Je ne recommande pas d'élargir le mandat du CSARS au CST car je crois comprendre que le Bureau du commissaire du CST fonctionne très bien. Je ne vois donc aucune raison d'intervenir dans ses activités. »[13] J'ai également été heureux de constater que mon bureau avait été félicité pour la création en 2006-2007 de la Tribune des organismes d'examen[14]. Je reviendrai sur cette dernière un peu plus loin.

J'ai quelques réserves toutefois à propos de la recommandation du juge O'Connor de créer un comité de coordination pour l'examen intégré des questions de sécurité nationale[15]. Je crains en effet que la création d'un tel comité par voie législative – et la modification des lois connexes – n'introduise un niveau de bureaucratie superflu et improductif entre les organismes d'examen indépendants et le Parlement.


[1] Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste, Justice fondamentale dans des temps exceptionnels : Rapport principal du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste, février 2007, p. 83.

[2] Ibid., recommandation no 18, p. 85.

[3] Ibid., recommandation no 19, p. 85.

[4] Ibid., recommandation no 20, p. 86.

[5] À ce jour, je n'ai reçu aucun renseignement en vertu de la Loi sur la protection de l'information.

[6] Supra, note 1, recommandation no 26, p. 103.

[7] Supra, note 1, p. 128.

[8] Sous-comité sur la revue de la Loi antiterroriste, Droits, restrictions et sécurité : un examen complet de la Loi antiterroriste et des questions connexes. Rapport final du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, mars 2007, p. 64.

[9] Ibid., recommandations nos 44 et 45, pp. 63-64.

[10] Ibid., recommandations nos 58 et 59, pp. 94-96.

[11] Ibid., pp. 93-95.

[12] Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Un nouveau mécanisme d'examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2006), p. 643.

[13] Ibid., recommandation no 11, p. 641.

[14] Ibid., p. 316.

[15] Ibid., recommandation no 12, p. 654.

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